Corruption de fonctionnaires

Depuis que les Scarabouils sont scolarisés, nous avons pris l'habitude de faire de petits cadeaux aux enseignantes, en fin d'année civile puis en fin d'année scolaire, vieille réminiscence de la primaire de Maman. Selon sa mémoire de poisson-chirurgien, il s'agit le plus souvent de gourmandises à partager. Parfois, lorsqu'elle est prise d'un accès de créativité intempestif, elle se fend d'une petite cousette. C'est ainsi qu'elle avait offert des sacs cousus main aux maîtresses plus qu'appréciées de l'école précédente.

L'année dernière aurait pu sonner le glas de la tradition pour diverses raisons plus ou moins basiques délicates telles que "on n'aime pas la nouvelle école" ou "la maîtresse n'avait qu'à être plus sympa." ou "on a d'autres chats à fouetter comme préparer le baptême de la Grenabée"

Cette année, nous sommes finalement revenus à des sentiments plus généreux, sincèrement reconnaissants de l'implication des trois enseignants de nos enfants. La maîtresse de la Grenabée, remplaçante de la remplaçante, qui a pris en charge une classe complètement laissée à l'abandon par l'institution et a accompli un travail formidable avec les enfants en seulement quelques semaines. Le maître du moyen Scarabouil, qui sous ses airs sévères, ne l'a pas laissé tomber malgré ses difficultés ; la différenciation qu'il a mise en place a porté ses fruits et rien que pour cela, on lui pardonnera ses quelques erreurs de psychologie. Le maître du grand Scarabouil, doux dingue, abattant un travail monstrueux pour sa classe, sans compter son temps.

Pour les remercier, Maman s'est donc mis en tête de coudre une trousse pour chacun. Elle s'est attelée à la tâche samedi en fin d'après-midi. Pour une livraison en main propre mardi matin, ce délai lui paraissait largement raisonnable... quoique... elle n'avait pas compté qu'elle devrait faire un détour au magasin parce que les chutes de tissus disponibles ne seyaient pas au grand, et qu'elle manquait de fermetures à glissière de la couleur adéquate. Elle n'avait pas compté non plus passer un jour et demi à chercher un pied de biche pour fermetures à glissière qui était juste sous son nez, à sa place. Elle avait encore moins compté que doubler une trousse avec de la toile cirée était un non-sens, ni que les Scarabouils se laisseraient déborder par leur enthousiasme à personnaliser les trousses et feraient simplement n'importe quoi. Elle n'avait surtout pas compté qu'elle serait dérangée toutes les 12 minutes par l'un ou l'autre des enfants et qu'elle en monterait alors une à l'envers.

Bilan : une trousse pour la maîtresse, cousue en une fois et demie, la fermeture ayant été initialement montée à l'envers (offerte), une trousse doublée à la toile cirée unaniment qualifiée de "vraiment trop moche" (à la poubelle), deux trousses soigneusement cousues mais finalement sabotées par des Scarabouils trop empressés qui ont fait baver copieusement la peinture pour textile (à la poubelle), deux trousses soigneusement cousues et (à peu près) soigneusement customisées par les garçons, l'une à main levée, l'autre au pochoir (offertes), une maman hystérique qui a coupé le dernier fil à 22h le lundi soir. Le papa et ses nerfs ont également été mis à contribution.
Rendement: pas terrible, si on excepte les compliments des enfants : "C'est tellement beau qu'on dirait que tu les a achetées !" J'aurais peut-être mieux fait...

En tout cas, si je devais exprimer une idée du même genre, l'année prochaine à la même époque, je vous serais très obligée de bien vouloir me rappeler les présentes anecdotes afin de m'en dissuader et de préserver ma santé mentale.

En conclusion, la corruption de fonctionnaires demande tellement d'investissement qu'on se demande si elle est très rentable, surtout lorsqu'elle est réalisée le dernier jour d'école, une fois que tout est joué... Le calcul n'est pas optimal. Et si on faisait des cadeaux de rentrée, plutôt ?