5 Mai 2022
Dans la famille Nanicroche, je demande la petite sœur.
9 ans et demi, toutes les dents attendues à cet âge, certaines idées biens arrêtées, d'autres un peu plus floues, des interrogations et des cheveux courts.
Pas courts coupés au carré classique pour petites filles modèles. Non. Très courts. Plus courts que ceux de ses frères. Avec des épis au réveil.
Ce n'est pas qu'elle n'aime pas les cheveux longs puisqu'elle y revient périodiquement. Ce qu'elle déteste, c'est le temps passé à les démêler, autant que la douleur (car sa mère n'est pas assez douce, paraît-il). Or plus ils sont longs, plus il est long, ce temps de démêlage, qu'elle pourrait passer à faire mille autres activités nettement plus passionnantes et moins laborieuses. Aussi, quand elle en a par-dessus la tête, de ses cheveux longs, elle les fait couper aussi courts que possible. Courts, mais pas rasés. Mais très courts.
Trop courts pour la coiffeuse qui la première fois, a insisté lourdement longuement avant de donner le premier coup de ciseaux pour vérifier que la Grenabée était bien sûre d'elle. Mais l'enfant était si décidée qu'elle n'a pas compris pourquoi la coiffeuse était si réticente et lui a demandé des comptes. Réponse navrante à une question innocente : "Parce que tu es fille et que les filles aiment bien se faire des coiffures, avec des chouchous, des barrettes, etc." "Alors, j'ai pas le droit ?" a-t-elle demandé, la voix et le regard chargés d'autant de déception que d'incompréhension. Sa mère, qui a elle-même les cheveux bien plus longs mais les principes bien moins courts que ceux de la coiffeuse, lui a expliqué très lourdement longuement, avec plein de grands mots pompeux à destination de la coiffeuse, qu'elle pouvait bien faire ce qu'elle voulait avec ses cheveux (et ses vêtements, et ses activités, et ses goûts, et son corps en général et sa propre personne en particulier - oui, sa mère a été trèès trèèèès lourde sur le sujet!) du moment que cela lui plaisait à elle et qu'elle se sentait à son aise. La coiffeuse, pas du tout ébranlée dans ses convictions, a tenté une dernière parade : "Mais elle est petite encore... (en CE1 à cette époque, ndlr). Vous êtes d'accord, vous ?" Ben, oui. "Pis, les cheveux, ça repousse, hein !", comme dirait l'autre. Bref, l'enfant est revenue ravie de ses cheveux courts. Les épis ? Elle s'en moque !
La première fois, c'était pendant le vrai premier confinement. Autant qu'on n'a croisé personne pour nous faire des réflexions désobligeantes (ou alors vite fait, en visio, qu'on a très vite écourtées). Depuis, la Grenabée a laissé ses cheveux repousser et les a fait recouper plus ou moins plusieurs fois.
Aujourd'hui, elle les porte à nouveau assez courts. Et maintenant qu'on peut à nouveau mener une vie normale et voir du monde, les réflexions pleuvent dru, les confusions sont légion. D'abord, on ne compte plus les "Bonjour, jeune homme !" de nos commerçants habituels, qui ont l'air de trouver normal qu'on ait échangé notre fille contre un fils. Et il y a les doutes, les incertitudes qu'on peut lire dans les yeux des gens. Il faut dire que la Grenabée ne les aide pas beaucoup, car en plus de la longueur de ses cheveux, elle choisit ses vêtements de manière tout aussi libre. Pour preuves, ce T-shirt kaki arborant un chouette dinosaure, déniché au rayon "garçon", tout comme ces chaussures de sport, rouge et bleu, sur lesquelles elle a flashé. Ainsi vêtue, à la voir de dos, on s'y tromperait, je le reconnais.
La Grenabée dit le plus souvent que ce n'est pas grave, qu'elle s'en moque "du moment que ça [lui] plaît à [elle], non ?". Mais quelquefois, elle décide quand même de coiffer ses cheveux courts d'un serre-tête à paillettes...
Et ce qui est étonnant, c'est que cela ne suffit pas toujours à lever le doute. Nous restons toutes les deux dubitatives face au "Dommage ! c'est lui qui a gagné." dit par une grand-mère à sa petite-fille qui avait disputé une partie de "Puissance 4" avec la Grenabée qui portait ses fameux cheveux courts, certes, mais aussi une casquette à l'effigie de "Minnie", des sandales à paillettes, un T-shirt à fleurs, une pochette fleurie en bandoulière, et une couronne de feuillages. Niveau attributs genrés, il me semble que le féminin l'emportait largement sur le masculin, et pourtant...
Dans un autre contexte, la Grenabée était récemment invitée à l'anniversaire d'une amie. A cette occasion, elle a rencontré de nouveaux enfants et fait face à de nouveaux questionnements de la part des plus jeunes. Était-elle un garçon qui se prenait pour une fille ? Une fille qui voulait ressembler un garçon ? surtout qu'elle portait les fameuses chaussures rouge et bleu, les mêmes que l'ami d'une des invités "qui est un garçon, tu sais ?" "Je suis une fille quand même ! mais je préfère avoir les cheveux courts."
Voilà tout.
Visiblement, les cheveux courts adressent un message fort aux gens, qui prime sur tout le reste. Je ne les juge pas, je m'interroge et je salue la force de caractère de ma fille.
J'essaie aussi de me rappeler mes propres ressentis quand au même âge, à quelques poussières près, mes cheveux était tout aussi courts que ceux de ma fille, mais pas par choix.
Femme de prof, mère de deux Scarabouils et d'une Grenabée, je dépose ici les aléas et anecdotes qui feront les souvenirs de notre vie de famille
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