20 Mars 2019
Mille ans après le reste du monde de ma génération et un mois après mon mari, j'ai lu "1984" rédigé par George Orwell.
J'avais bien la vague idée d'un monde hyper-surveillé et formaté par une super-propagande, le tout sous l’œil implacable du fameux Big Brother moustachu.
Peut-être que si je l'avais lu comme tout le monde, il y a 30 ans, avant la naissance d'Internet et l'essor des réseaux sociaux, j'aurais été plus interpelée ou choquée ou alertée. Le lire aujourd'hui m'a laissée un peu dubitative...
Dans ce roman d'anticipation, les classes moyennes et supérieures sont constamment surveillées et conditionnées, par le biais de télécrans présents partout dans la ville, les logements, les administrations et les bureaux, diffusent une propagande continuelle en même temps qu'ils captent et analysent les réactions et conversations des gens. Tout écart par rapport à la norme est immédiatement et sévèrement sanctionné.
La loi, la norme, est insinuée dans les esprits par la diffusion des messages officiels mais aussi par l'éducation des jeunes générations à qui l'on apprend à déceler et dénoncer les crimes par la pensée contre le Parti, qui que soient les fauteurs : connaissances, voisins, amis et même parents. Tout est fait pour annihiler le libre arbitre de chacun. Il n'existe plus d'autre références que les grandes lignes du Parti, le passé, l'Histoire et toute forme de culture antérieure étant constamment et judicieusement modifiés, retravaillés et réinterprétés à l'aune de la réalité présente de la société actuelle et en fonction des messages que le Parti souhaite transmettre au peuple.
Pas de libre arbitre, pas de réflexion personnelle possible sans passer au mieux pour fou, au pire pour traître au Parti. Dans tous les cas, on disparaît, vaporisé.
A la différence de notre société à nous, où la surveillance est également effective, reconnue par tous mais surtout admise, tolérée et même cautionnée (puisque l'on continue à enregistrer délibérément son profil ici ou là, en toute connaissance de cause), la surveillance de 1984 est subie et surtout annihilante. Pour survivre, il faut être conforme, s'oublier. La force de cette propagande permanente qui peut se montrer contradictoire d'une minute à une autre, reniant instantanément ce qui vient d'être dit, le rendant carrément inexistant, est de maintenir les esprits dans la croyance que ce qui est vrai est ce qui est dit à l'instant T. On ne fait plus confiance ni à ses sens, ni à ses souvenirs, ni à ses intuitions. On croit le Parti.
C'est ce qui me laisse perplexe : la perte de soi me semble impossible, même si elle s'explique ici par la soustraction totale de toute source d'information autre que la propagande officielle : rien n'est disponible dans son état originel datant d'avant la mise en place du Parti : ni livres, ni journaux, ni films, ni vestiges, ni œuvres d'art, rien qui n'ait été réécrit ou refait maintes fois.
En revanche, la question du langage comme vecteur de la pensée ou plutôt comme constructeur, modélisateur de la pensée m'a fait réfléchir. La langue particulière "Novlangue" instituée par le Parti fait l'objet d'un appendice, les quelques pages les plus intéressantes du bouquin selon moi. Le principe de ce nouveau langage officiel est de supprimer tous les termes superflus de la langue traditionnelle : les synonymes, les antonymes, les comparatifs, les superlatifs... En réduisant le nombre de mots, on tend à réduire le champ de la pensée. En effet, comment formuler une pensée si le vocabulaire associé n'existe plus ? Faute de terme pour l'exprimer, la pensée s'étiole jusqu'à disparaître. Le but du Parti est d'évidence d'avorter toute pensée subversive par rapport à la norme dans l’œuf. Cela ferait un bon sujet du bac philo, non ? A méditer...
En tout cas, voilà que cet incontournable fait désormais partie de mes lectures. Il n'est jamais trop tard pour bien faire.
Femme de prof, mère de deux Scarabouils et d'une Grenabée, je dépose ici les aléas et anecdotes qui feront les souvenirs de notre vie de famille
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